Lucie Aubrac… merci !
L’une des plus belles rencontres du Mur. Il y a 10 ans. Jeudi 23 janvier, salle du journal, Lucie Aubrac, professeur, écrivain et l’un des membres les plus importants, avec son mari Raymond Aubrac de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale, témoigne devant l’équipe. Disparue il y a quelques jours, nous lui rendons hommage avec l’intégralité du texte paru dans l’édition du Mur n°92, rédigé par les lycéens de l’équipe du journal en 1997.
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Jeudi 23 janvier 1997. 14h00.
Silence dans la salle du journal.
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C’est sans doute ça le début de la résistance, des défilés triomphants qu’on n’accepte pas, des affiches de Vichy qu’on n’aime pas voir sur les murs, les symboles d’une présence allemande qui se veut notre maîtresse. Lucie Aubrac était professeur d’histoire à Lyon, sa directrice, une scientifique qui avait travaillé sur des recherches sur le radium avec Pierre et Marie Curie réunit tous les enseignants : « je vous fais mes adieux, je suis Juive, je suis révoquée. » Les gens de Vichy venaient de décider qu’aucun fonctionnaire, instituteur, postier, médecin travaillant dans un hôpital ne devait être Juif ! Les journaux n’en parlent pas. « Radio Paris » veut envoyer les jeunes travailler en Allemagne. Lucie Aubrac, elle, travaille dans un journal clandestin, ce jour-là, ils sortent la Une sur 4 colonnes : « la jeunesse française vous dit merde ! » |
C’est ça, les Résistants, des râleurs, des gens qui protestent. |
Ce sont des filles de salles dans les hôpitaux et des grands patrons de médecines qui se rencontrent.
C’est Claire, une collègue d’anglais de Lucie Aubrac qui aide son père à faire passer un aviateur anglais jusqu’à Perpignan et qui devient résistante. C’est le libraire pétainiste au départ, jusqu’au jour où il se retrouve enfermé dans la même cellule de prison que Raymond Aubrac, le mari de Lucie, et qui va en être transformé. C’est une société secrète, en nombre minime, c’est vrai, avec des codes, des faux papiers, des messages radio, et un chef qui est le Général de Gaulle. Ce sont des démocrates, avec une valeur commune, la liberté. Ce sont ceux qui pouvaient partager un litre de vin obtenu en fraude, ou bien porter un homme blessé dans un abri pour ne pas le laisser mourir sur un trottoir. |
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Ceux qui refusaient la soumission, l’occupation, qui résistaient en parlant, en écrivant, et parfois en prenant les armes. |
Aujourd’hui, en direct, salle du Mur de notre lycée, jeudi 23 janvier 1997, 15h00… Une dépêche de l’AFP vient d’annoncer que Maurice Papon, ancien maire de notre ville Saint-Amand Montrond sera jugé devant la Cour d’Assises de Bordeaux pour complicité de crimes contre l’humanité…
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Déclaration immédiate et intégrale de Lucie Aubrac : j’ai la même réaction qu’au moment de l’arrestation de Klaus Barbie, puisque ces gens là sont encore vivants, ils vont servir de support pour expliquer à la jeunesse ce que c’était que la lâcheté et la trahison… |
... et Maurice Papon était pire qu’un Allemand, puisque les Allemands étaient en occupation en France, et les Français étaient leurs ennemis. Tuer des enfants, c’est épouvantable ! Les crimes contre l’Humanité,faits par un Français, secrétaire général de préfecture qui signe la déportation d’enfants et de femmes, plus de 600, dans la région de Bordeaux, c’est innommable !
... et c’est d’autant plus lâche que ce personnage n’a pas assumé le poids de ses crimes. A la libération, ou bien il pouvait disparaître avec sa honte, son déshonneur, ou bien il pouvait payer ce qu’il avait fait… A la place, il a camouflé cette lâcheté, et il a exercé des fonctions municipales, nationales, préfet de police, ministre, et cela a été pour la France un homme qui a contribué à nous déshonorer… |
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Je suis très contente qu’il passe en justice, quel que soit son âge… Dire que les vieux n’ont pas le droit d’être jugés, moi, je suis une vieille femme, j’ai fait mon devoir, je témoigne de ce que j’ai fait.
Que lui témoigne de ce qu’il a fait ! Pour moi, c’est honorable, et pour lui, c’est le déshonneur ! » |
Silence. Une seconde. Deux secondes… et applaudissements dans la salle. Nous étions tous dans la salle de Français, et cela fait maintenant près de deux heures. Ce n’est pas une vieille femme de 85 ans que nous avons devant nous. |
Elle marche, elle déambule, elle occupe l’espace, par sa voix, par sa présence. Avec ses mots à elle, avec ses souvenirs, elle explique tout simplement ce qu’elle a vécu. Avec des anecdotes drôles parfois, émouvantes toujours, avec des journaux de l’époque, des affiches, avec une étoile jaune et juive… On reste sans voix, avec dans notre mémoire déjà, l’histoire de Mathieu, le courage de Sébastien, ou le destin de Claire…
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à lire :
Lucie Aubrac
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pour l’équipe du journal 1997, classe Première BMA : Claire A., Sophie A., Fabienne B., Virginie B., Karine C., Diane D., Céline D., Anouck G., Emmanuel G., Evelyne G., Mathieu G., Laurent M., Didier M., Virginie M., Jean-François M., Xavier M., Jérôme R, Floriane R., Xavier S., Thi li li T., et Séverine T. |
sincères remerciements aux équipes du
Berry Républicain
et
de France Loisirs
, sans lesquelles cette rencontre n’aurait pu avoir lieu.
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